Mars : nouveautés du Club de lecture

Chronique des nouveautés de Louise Paquin
mars 2020

  • Noel, Francine. L’usage de mes jours.  Montréal,  Leméac, 2020. 384 p.

À travers le parcours de son enfance, puis de celui de sa vie adulte comme femme, amoureuse, professeure, mère, l’auteure se révèle.  Fine oreille, fine observatrice, fine critique de la société québécoise, de ses aspirations et de ses frilosités, Francine Noël donne à lire une chronique féminine, joyeuse et grave, d’une exemplaire lucidité.

Album de famille, carnet de voyages, visite des coulisses du Montréal culturel et intellectuel élaboré de façon essentiellement chronologique, L’usage de mes jours devient forcément la chronique d’une province où le Canadien français se transforme peu à peu en Québécois.

 

  • Jobidon, Gilles. Le tranquille affligé.  Montréal, Leméac, 2019. 165 p.

L’auteur raconte ici l’histoire de Jacques Trevier, un jésuite défroqué, qui vivait au XIXe siècle en Chine.   Il a pour mission de ramener d’une île de la mer d’Oman un maître artisan inventeur d’une teinture noire unique qui aurait le pouvoir magique de régler les multiples maux qui gangrènent l’empire en pleine guerre de l’opium. Il y rencontrera l’amour de sa vie sous les traits d’une femme albinos belle comme une apparition qui hélas va lui échapper…
Gilles Jobidon montre l’opposition entre l’Orient et l’Occident avec le pillage intellectuel et le travail de sape sociale des Jésuites pendant quatre siècles dans l’empire du Milieu.
Ce roman aborde également une réalité très contemporaine : l’appropriation intempestive des ressources naturelles, les trafics illégaux, l’espionnage industriel… Bref, les revers de la mondialisation.

 

  • Tagaq, Tanya. Croc fendu.  Montréal, Alto, 2019.

Le premier roman de l’artiste Tanya Tagaq est une véritable plongée en apnée dans le quotidien d’une enfant, puis d’une ado, puis d’une mère au Nunavut. Dans un univers où l’alcool, la drogue et les agressions sexuelles sont banalisés, l’enfance se conjugue avec survie et résilience, acceptation et rébellion.  Sa plume vive dépeint la souffrance, le chagrin, le désespoir.
L’auteure offre un récit farouche et authentique, nous dévoilant la richesse du monde des esprits autant que la difficile condition féminine. La narratrice décrit également, d’une façon qui fait rêver, les aurores boréales, les habitations bâties sur pilotis, le pergélisol, les rivières gelées et cet océan de blancheur. Poésie et mythologie enchanteresse se mêlent.

  • Collette, Sandrine. Et toujours les forêts.  Paris,  C. Lattès,  2020.  334 p.

Enfant non désiré, Corentin a passé sa prime enfance ballotté d’un foyer instable à l’autre avant d’être définitivement abandonné à son arrière-grand-mère, Augustine. Auprès de la vieille femme, dans des lieux isolés, le garçon trouve un équilibre et la part d’amour qui lui a été refusée jusqu’alors. Parti à la « Grande Ville » pour poursuivre ses études, Corentin découvre une nouvelle vie faite d’insouciance et de fêtes, d’amitiés et d’amours éphémères jusqu’à la nuit de la catastrophe.  Survivant d’une terrible explosion, il découvre un monde calciné. Dès lors, le jeune homme n’a plus qu’une idée en tête : revenir aux Forêts, retrouver Augustine…
Le roman semble être avant tout post-apocalyptique mais la quête d’amour de Corentin, presque désespérée, au point de basculer dans la contrainte violente, demeure au cœur de ce récit âpre.

 

  • Galien, Alexandre. Les cicatrices de la nuit.  Paris, Fayard, 2019.

L’intrigue est vite lancée : le corps dénudé et terriblement mutilé d’une jeune femme est retrouvé  » dans la nature « . Le policier récemment nommé à la brigade criminelle connaît cette jeune fille. Un premier cadavre, puis deux. Il faut arrêter celui qui commet ces crimes avant qu’il ne devienne un serial killer
Le  lecteur plonge alors dans le monde interlope de la nuit et de la prostitution. Le suspens est au rendez-vous. L’atmosphère et la tension qui entourent l’enquête sur ces meurtres sont parfaitement rendues.  Les chapitres et les phrases sont très courts, donc percutants et bien ficelés. Tous les personnages sont bien décrits.

 

  • Coulon, Cécile. Une bête au paradis. L’iconoclaste, 2019.

Sur une ferme isolée, Émilienne élève seule ses deux petits-enfants, Blanche et Gabriel. Cette terre, le Paradis, fait leur bonheur. Les années passent tranquillement jusqu’à ce que l’adolescence arrive, et, avec elle, le premier amour de Blanche et de celui qui ravage tout sur son passage…
Dans un huis clos à ciel ouvert, Cécile Coulon dresse un portrait charnel, à la limite de la folie, de l’attachement de ces personnages à leur terre.  Avec son écriture à fleur de peau, où les sentiments sont exacerbés, elle laisse monter une pression angoissante qui présage au lecteur que le pire reste à venir.

 

  • Johnson, Craig. Dry Bones.  Paris, Gallmeister, 2019.

Dans le comté d’Absaroka au Wyoming, on vient de trouver, presque simultanément, le squelette parfaitement conservé d’un tyrannosaure rex près des terres de la famille Lone Elk et le cadavre du patriarche de ladite famille cheyenne, Danny, empoisonné au mercure. Le squelette est évalué à huit millions de dollars….Une enquête débute alors  menée par le shérif Longmire.
L’auteur est reconnu pour sa culture, son respect et sa connaissance intime de la spiritualité autochtone de l’Ouest. Johnson se démarque aussi par son esprit, son intelligence et son humour.

 

  • Oates, Joyce . Un livre de martyrs américains.  Paris, Éditions Philippe Rey, 2019.

A la fin des années 1990, en Ohio, un médecin pratiquant des avortements est assassiné par un fanatique chrétien. C’est le point de départ d’un splendide roman où l’écrivaine brosse un portrait d’une société ébranlée dans ses valeurs profondes face à l’avortement.

La puissance de ce livre réside dans l’humanité que l’auteure confère à chacun des personnages, qu’ils soient « pro-vie » ou « pro-choix ». Le lecteur est confronté à la question principale : entre les fœtus avortés, les médecins assassinés ou les « soldats de Dieu » condamnés à la peine capitale, qui sont les véritables martyrs américains ?  Sur cette question des clans s’opposent : bigots contre athées, pauvres contre riches, extrême droite contre gauche américaine.

 

  • Owens, Delia. Là où chantent les écrevisses. Paris, Seuil,  480 p.

En Caroline du Nord, Kya, âgée de dix ans, abandonnée par sa famille, doit apprendre à survivre seule dans le marais devenu pour elle un refuge naturel et une protection. Sa rencontre avec Tate, un jeune homme doux et cultivé qui lui apprend à lire et à écrire, qui lui fait découvrir la science et la poésie, transforme la jeune fille à jamais. Mais Tate, appelé par ses études, l’abandonne à son tour. La solitude devient si pesante que Kya ne se méfie pas assez de celui qui va bientôt croiser son chemin et lui promettre une autre vie….
Un livre sur la nature ; une œuvre psychologique profonde et très émouvante ; un roman policier qui, jusqu’à la dernière page, interpelle le lecteur.

 

  • Amigonera, Santiago Horacio. Le ghetto intérieur. Paris, P.O.L., 2019.

En 1928, Vicente Rosenberg quitte la Pologne pour s’installer en Argentine où il commence une nouvelle vie laissant dernière lui sa mère.  Les nuages noirs qui s’amoncellent sur l’Europe restent loin.  Toujours inquiet de sa mère, il invite celle-ci à venir le rejoindre. Elle refuse toujours malgré ce qu’elle vit. Écrasé par la culpabilité, Vicente s’enferme alors dans son « ghetto intérieur ». La culpabilité le dévore….Il s’enfonce dans le silence, délaissant sa femme et ses enfants, jusqu’à devenir le fantôme de sa propre vie.
À travers ce récit biographique, l’auteur d’origine argentine nous offre le portrait d’un homme victime de la guerre, dont la quête d’identité est déchirante.

 

  • Yueran, Zhang. Le clou. Paris, Éditions Zulma, 2019. 

Ce roman est en fait une immersion dans les soubresauts de la Chine des cinquante dernières années.

Deux amis d’enfance se retrouvent après de longues années et se racontent leurs souvenirs et leurs secrets. Un clou a lié le destin de trois familles dans la Chine de la Révolution culturelle, et les petits-enfants font les comptes.
Un très beau roman, tout en poésie et en courage : un jour ou l’autre il faut faire face à son passé pour pouvoir continuer à avancer.
Clou explore comme en apnée la vie de ces générations heurtées, et l’auteure en fait un roman unique, ultrasensible, saisissant et très contemporain.